Cellules CAR-T
Imaginées dans les années 1980 pour traiter des cancers du sang, les cellules CAR-T sont désormais à l’essai dans différentes maladies auto-immunes comme les myosites, la myasthénie, la sclérose en plaques, le lupus ou encore la sclérodermie. Gros plan sur une méthode de traitement innovante qui associe thérapie génique et thérapie cellulaire.
C’est quoi le principe dans les cancers ?
La mission du système immunitaire est de détruire les ennemis de l’organisme, à commencer par les microbes. Il s’attaque également aux cellules cancéreuses, qu’il identifie comme sensiblement différentes. Ces cellules peuvent cependant parvenir à leurrer le système immunitaire ou à dépasser ses capacités pour mieux lui échapper et finir par constituer une tumeur.
Les cellules CAR-T sont des cellules immunitaires qui ont été modifiées sur le plan génétique pour reconnaitre et s’attaquer de façon spécifique aux cellules cancéreuses cibles.
Les différentes phases d’un traitement par cellules CAR-T
- Dans un premier temps l’équipe médicale prélève, le plus souvent sur la personne malade, des lymphocytes T. Il s’agit d’une variété de globules blancs capables de reconnaitre et de conduire à la destruction d’un type de cellule donnée (cancéreuse, infectée par un microbe...).
- Les lymphocytes T prélevés sont modifiés génétiquement en laboratoire afin qu’ils fabriquent et expriment à leur surface un récepteur capable de s’arrimer à un antigène spécifique, présent sur les cellules cancéreuses à éliminer. Pour opérer cette modification génétique, on utilise un virus rendu inoffensif pour introduire dans les lymphocytes T le matériel génétique (souvent ADN, parfois ARN) qui commande la production du récepteur. Ce dernier est appelé « CAR » pour chimeric antigen receptor, récepteur chimérique de l’antigène. Le mot « chimérique » exprime le fait qu’il est artificiel. Il n’existe pas dans la nature.
- Les lymphocytes T devenus cellules CAR-T se multiplient, en laboratoire.
- Avant le traitement, la personne malade reçoit des médicaments immunosuppresseurs puissants afin de freiner fortement l’activité de son système immunitaire et d’éliminer ainsi une partie de ses lymphocytes T naturels qui seront remplacés par les cellules CAR-T.
- L’injection des cellules CAR-T a lieu dans l’un des rares services hospitaliers autorisés à le faire (une quarantaine en France).
- Une fois injectées au patient, elles partent à l’assaut des cellules à éliminer et se multiplient.
Se servir des défenses immunitaires naturelles pour cibler les cellules malades
Les cellules CAR-T font partie de l’immunothérapie, une méthode de traitement qui s’appuie sur le système immunitaire pour soigner. Il existe d’autres formes d’immunothérapie en cancérologie, comme les inhibiteurs des checkpoints immunitaires, des médicaments déjà commercialisées.
En savoir plus en lisant un dossier de l’Inserm
Déjà six médicaments
- La France a autorisé deux premiers médicaments anticancéreux à base de cellules CAR-T en 2018, et quatre autres depuis. Tous ciblent des cancers de cellules du sang (les lymphocytes) : leucémie, lymphome et myélome. Quatre de ces médicaments utilisent des récepteurs CAR dirigés contre l’antigène CD19 et deux contre l’antigène de maturation des lymphocytes B (BCMA en anglais).
- Les cellules CAR-T bénéficient à un nombre croissant de patients chaque année, même si ce nombre reste relativement modeste : mi-2024 près de 4 000 personnes auraient déjà reçu des cellules CAR-T en France et dix fois plus dans le monde. Il faut dire que leurs indications sont limitées aux stades avancés de cancers, en rechute ou résistants aux autres traitements. Mais dans ces situations de « dernier recours », où il n’y avait plus aucun traitement à proposer auparavant, les cellules CAR-T ont transformé le pronostic de nombreux patients, avec une efficacité spectaculaire (allant jusqu’à la rémission).
- Une utilisation beaucoup plus large des cellules CAR-T semble à ce jour difficilement envisageable en raison notamment de la complexité de leur production, de leurs effets indésirables possibles et du manque de données sur leur efficacité à long terme autant que sur leur utilisation plus précoce, dès le diagnostic du cancer. Mais des centaines d’essais cliniques sont en cours ou en préparation dans le monde, qui permettront de rassembler ce type de données. Ils évaluent également des indications plus larges des cellules CAR-T, notamment pour soigner d’autres maladies que les cancers.
Et dans les maladies auto-immunes ?
Dans une maladie auto-immune, le système immunitaire dysfonctionne. Il s’attaque à certains constituants de l’organisme : éléments des muscles (pour certaines myosites), de la jonction neuromusculaire (myasthénie auto-immune), du système nerveux (sclérose en plaques), des articulations (polyarthrite rhumatoïde)…
Les lymphocytes B jouent un rôle central
La réaction auto-immune conduit à des lésions d’un ou plusieurs tissus (muscle, nerf…) du corps. Les lymphocytes B peuvent être impliqués de deux façons dont l’apparition de ces lésions : de façon directe, en produisant des auto-anticorps qui vont s’attaquant aux tissus cibles, ou de façon indirecte, en présentant les tissus cibles aux lymphocytes T comme s’il s’agissait d’éléments étrangers ce qui conduit à leur élimination. Un médicament comme le rituximab, utilisé pour traiter différentes maladies auto-immunes, cible d’ailleurs les lymphocytes B avec l’objectif de réduire leur nombre et donc l’ampleur de la réaction auto-immune et de ses manifestations.
Les cellules CAR-T aujourd’hui à l’étude dans différentes maladies auto-immunes ciblent une ou plusieurs protéines présentes à la surface des lymphocytes B : CD19, BCMA, CD20… L’idée est d’opérer une sorte de « reset », de remise à zéro, du système immunitaire : les cellules CAR-T détruisent les lymphocytes B auto-réactifs, impliqués dans la réaction auto-immune. Le corps les remplace par de nouveaux lymphocytes B, « naïfs », qui ne réagissent pas contre des constituants de l’organisme.
Dans certaines situations seulement
Étant donné la complexité et la lourdeur d’un traitement par cellules CAR-T et ses potentiels effets secondaires, seules les formes graves de maladies auto-immunes, réfractaires à de nombreux médicaments immunosuppresseurs, sont concernées actuellement.
Chez quelques patients atteints de formes graves de maladies auto-immunes comme le lupus systémique (avec une première preuve d’efficacité chez la souris publiée en 2019), la sclérodermie systémique, la myopathie nécrosante auto-immune, le syndrome des antisynthétases ou encore la myasthénie, l’injection de cellules CAR-T a entrainé une amélioration importante, voire une rémission.
L’AFM-Téléthon s’implique
- En octobre 2023, l’AFM-Téléthon a réuni des médecins, des chercheurs et des représentants de patients, du Groupe d’intérêt myopathies inflammatoires dans le cadre d’un groupe de travail consacré aux thérapies cellulaires dans les myosites, avec l’objectif de faire émerger des projets de recherche.
- L’AFM-Téléthon a également apporté son soutien financier par le passé aux travaux de l’équipe du Pr Olivier Boyer (CHU Rouen) pour le développement de cellules CAR-T dans la myopathie nécrosante auto-immune. L’association finance également l’équipe d’Inès Barthélemy (École Nationale Vétérinaire d’Alfort), sur un projet de cellules CAR-T pour lutter contre la fibrose dans la dystrophie musculaire de Duchenne.
Plusieurs essais cliniques sont désormais en cours ou en préparation dans le monde, et notamment en France, pour évaluer l’efficacité de différents types de cellules CAR-T dans ces maladies auto-immunes.
D’autres maladies auto-immunes bénéficient aujourd’hui d’essais cliniques de cellules CAR-T, comme la sclérose en plaques, le syndrome de Sjögren, les neuromyélites optiques, la rectocolite hémorragique et la maladie de Crohn par exemple.
Quels sont les risques ?
Les traitements par cellules CAR-T sont relativement récents. Leurs bénéfices autant que les risques liés à leur utilisation seront mieux connus avec les années.
Dans le cadre du traitement de cancers, où le recul est le plus important, leurs différents effets secondaires déclarés à ce jour sont :
- le syndrome de relargage des cytokines (SRC) : les cytokines sont des substances produites par les cellules immunitaires ; lors d’un traitement par cellules CAR-T, elles peuvent être produites en très grande quantité en raison d’une activation massive des cellules immunitaires, ce qui provoque une réaction semblable à une grippe (fièvre, frissons, fatigue, courbatures…) mais qui peut aussi entrainer des complications graves.
- des troubles neurologiques : maux de tête, vertiges, difficultés à parler, crises d’épilepsie…
- une baisse importante des globules blancs, en raison du traitement immunosuppresseur qui précède l’injection de cellules CAR-T, à l’origine d’infections secondaires.
Fin 2023 - début 2024, les agences du médicament américaine (FDA) et européenne (EMA) ont lancé des études sur un risque potentiel de cancer dit « secondaire », c’est-à-dire différent du premier, après traitement par cellules CAR-T d’un cancer du sang. En juillet 2024, le comité de pharmacovigilance de l’EMA a confirmé l’existence de 38 cas de cancers secondaires liés aux lymphocytes T (lymphome, leucémie) sur environ 42 500 patients traités par cellules CAR-T. Ce questionnement est en cours d’investigation et de surveillance.
En savoir + sur le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament
À quoi travaillent les chercheurs pour demain ?
Différents équipes de chercheurs dans le monde, au sein de laboratoires publics ou privés, travaillent au développement de cellules CAR-T. Parmi leurs pistes de recherche actuelles figurent :
- de nouvelles indications, comme les maladies auto-immunes mais aussi des tumeurs dites « solides » (cerveau, pancréas, poumon…) ou encore une administration plus précoce dans les cancers du sang,
- l’allongement de la durée de vie et d’activité des cellules CAR-T dans l’organisme, une clé de leur efficacité,
- le développement de cellules CAR-T dirigées contre plusieurs cibles antigéniques,
- la mise au point de traitement anticancéreux associant des cellules CAR-T à d’autres formes d’immunothérapie, comme les inhibiteurs de checkpoints immunitaires,
- l’amélioration des procédures de production des cellules CAR-T,
- la mise au point de cellules CAR-T dites « universelles » (ou allogéniques), produites à partir de lymphocytes d’un donneur en bonne santé, ce qui permettrait d’en produire davantage et plus rapidement.